La transformation digitale des ventes sous l’angle des neurosciences: Interview avec Erwan Deveze

Réussir la transformation digitale est tributaire de la façon avec laquelle les dirigeants vont gérer le changement qu’elle implique.
Une telle transition nécessite de nouvelles approches innovantes afin d’allier performance collective et mobilisation de toute l’équipe.
Les neurosciences semblent pouvoir apporter des éléments de réponses à ce sujet.
Quoi de mieux que d’être guidé par un expert?

Erwan Deveze, dirigeant et fondateur de Neuroperformance Consulting, a accepté de nous accorder du temps pour nous parler de neuromanagement et son utilité dans le contexte de transformation digitale en général et celle de la vente en particulier.

 

Erwan Deveze, vous êtes spécialiste en neuro-management, de quoi s’agit-il ?

La mission du neuromanagement est de mieux comprendre et tirer avantage de l’intelligence humaine de façon à permettre aux dirigeants, aux managers et aux collaborateurs de donner le meilleur d’eux-mêmes. Cette nouvelle discipline s’appuie sur les récentes découvertes très importantes des neurosciences sur le cerveau. L’objectif est clairement défini : manager plus efficacement.

 

En quoi le neuro-management peut-il être utile aux entreprises ?

Nous vivons aujourd’hui un vrai paradoxe : jamais les neurosciences n’ont autant progressé que ces 10 dernières années, jamais notre connaissance du cerveau n’a été aussi développée (même si nous en sommes qu’au tout début !), et pourtant le management n’utilise encore aujourd’hui que très peu de cette nouvelle connaissance. C’est un vrai gâchis qui nuit à la performance individuelle et collective.

 

Quelles sont les perspectives à venir pour le neuromanagement?

Elles sont très porteuses ! Le neuromanagement va progressivement s’imposer pour trois raisons majeures.
Premièrement, l’avènement ultra-rapide et stupéfiant de l’intelligence artificielle (IA) va obliger les entreprises à devoir se réinventer, en investissant en priorité sur les spécificités de l’intelligence humaine telles que la créativité, l’analyse transversale, la régulation émotionnelle, etc.
Deuxièmement, la nouvelle génération ne se satisfait plus, et elle a bien raison, de ce management vertical et coercitif « aux ordres » et le fait savoir.
Troisièmement, les neurosciences vont continuer de progresser et affiner notre connaissance et maîtrise des mécanismes cérébraux. La conjonction de ces trois phénomènes ouvre une voie royale au neuromanagement.

 

Le neuro-management est très recommandé quand il s’agit de la conduite du changement. Quels sont les mécanismes en jeu ?

Le changement est tout sauf naturel pour le cerveau qui adore se réfugier derrière la connaissance acquise et les automatismes. « Changer » pour le cerveau est difficile et coûteux en énergie : il s’agit de déconstruire une connexion cérébrale existante (parfois depuis longtemps) pour ensuite en recréer une nouvelle. Mais il est, et c’est la très bonne nouvelle, tout à fait possible pour chacun d’évoluer grâce à la plasticité cérébrale, cette capacité naturelle qui nous permet de reconfigurer nos circuits neuronaux en permanence. À la condition de le vouloir ! Pour cela, la priorité est de comprendre le sens du changement et sa finalité. On n’impose jamais, sur un plan cérébral, le changement à l’autre, on l’explique, on le suggère, de sorte que la personne puisse être susceptible d’actionner ses propres mécanismes cérébraux, pour in fine, modifier en profondeur et durablement son comportement. Un processus ardu où la pédagogie et la communication sont essentielles !

 

Quid du cas spécifique de la digitalisation et de la transformation numérique ?

C’est un excellent exemple d’un changement à la fois difficile et indispensable à mener. La digitalisation et l’IA vont totalement transformer le monde du travail et nous obliger à travailler différemment pour rester dans la course. La finalité des métiers restera certes identique (vendre, soigner, enseigner, etc.) mais la façon de les exercer évoluera considérablement. La digitalisation accélère le temps de façon brutale et cet emballement provoque parmi les collaborateurs beaucoup de questionnements, d’interrogations, de doutes… et aussi de peurs, conscientes et inconscientes. Disons-le et répétons-le : ces réactions sont tout à fait normales sur un plan cérébral ! Elles correspondent à des processus neuronaux très classiques (notamment l’activation du circuit de la menace) qui vont monopoliser toute l’énergie et l’attention du collaborateur. De fait, celui-ci ne sera plus ni créatif, ni productif, puisque totalement absorbé par ses ruminations, ses angoisses et ses peurs.

 

Comment le dirigeant peut-il répondre à ces inquiétudes ?

Le dirigeant ne doit ni s’étonner, ni s’offusquer de ces réactions… et encore moins les juger ! Il doit au contraire tenter de les comprendre et surtout consacrer toute son énergie à déminer le terrain et à créer les conditions qui permettront à ses troupes de comprendre le sens du changement. C’est seulement à ce moment qu’une évolution de leur comportement sera possible. Il est en particulier essentiel de dédramatiser cette question du changement, déculpabiliser les acteurs concernés, pour pouvoir de nouveau entrer dans des cycles cérébraux vertueux et efficaces. Accompagner au plus près les dirigeants dans cette tâche difficile est à la base de ma mission.

 

Lorsque l’on parle de « transformation de la vente » à opérer, toute l’entreprise est touchée par le changement mais les commerciaux sont les premiers concernés car ils sont en prise directe avec le client. Comment faire ?

Les commerciaux sur le terrain ont un rôle majeur. Sans eux, pas de vente, et sans vente, pas de pérennité de l’entreprise. Ils sont souvent très attachés à leur liberté, à leur autonomie, et à leur « façon de faire », surtout pour les plus anciens. Le changement peut ainsi très vite venir se heurter à leurs croyances. C’est le fameux « ça fait 25 ans que je fais ce métier, ce n’est tout de même pas un p’tit nouveau qui va venir m’apprendre comment travailler !». Sauf que ce qui était vrai hier ne l’est peut-être plus aujourd’hui et l’incroyable accélération et mutation du monde du travail aujourd’hui peut venir balayer ces certitudes. C’est alors l’impasse si les équipes y sont mal préparées et formées. Le simple fait d’expliquer ce qui se passe dans le cerveau dans ces moments difficiles permet bien souvent de faire baisser les tensions quasi-instantanément. L’étape suivante étant bien évidemment d’associer de près tous les acteurs concernés à ces évolutions indispensables.

 

Certaines entreprises écartent volontairement les émotions de la transformation numérique qui devient alors une simple acquisition d’un outil technique. Est-ce la bonne approche ?

Non. De nouveau, si l’utilisateur de l’outil ne comprend pas le sens de ce qu’il fait, il ne sera pas performant. Les neurosciences établissent de façon formelle le lien entre épanouissement individuel et performance collective. Dans ce cadre, savoir gérer ses émotions est capital et, là encore, ce n’est pas inné, cela s’apprend ! Les neurosciences et la neuropsychologie apportent des éléments de réponse extrêmement utiles, que ce soit pour le dirigeant ou le collaborateur terrain. C’est tout l’intérêt des entreprises que de régulièrement former leurs troupes et d’être régulièrement accompagnées et coachées sur ces disciplines fondamentales que sont la régulation émotionnelle, la flexibilité mentale (intelligence des situations), l’intelligence collective, la gestion du stress, etc. Ce n’est désormais plus une option mais un impératif pour toute structure souhaitant se développer, ou plus prosaïquement subsister. Manager l’intelligence humaine est devenu, dans ce monde complexe et instable, un métier d’orfèvre qui réclame des connaissances très pointues. A titre personnel, afin d’avoir l’assurance de pouvoir proposer à mes clients ce qu’il y a de mieux, je suis en contact quotidien avec des neuroscientifiques de haut niveau. C’est impératif tant la matière est évolutive et passionnante.

Il est devenu crucial de se réapproprier notre cerveau!

 

 

Merci Erwan, Il semble que nous devrions avoir plus de conversations comme celle-ci.

Avec plaisir!

 

À propos de Erwan Deveze:

Diplômé de l’Institut Supérieur de Gestion, Erwan Devèze bénéficie d’une large expérience en neuro-management, conseil stratégique et communication au sein d’organisations internationales, entreprises du secteur privé et public non lucratif, collectivités territoriales et associations. Il a occupé de nombreuses fonctions de direction en France et à l’international dans des environnements complexes et exigeants. Il est aujourd’hui Dirigeant fondateur de Neuroperformance Consulting, cabinet conseil spécialisé en neuro-management (application des neurosciences au management). Il est référencé comme conférencier chez A-speakers.

Erwan Devèze a publié en 2017 Neuro-boostez vos équipes ! Tirez profit
des neurosciences au travail préfacé par Pierre Gattaz, Président du MEDEF
(éditions EMS).

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